Intelligence, grâce et beauté, charme et séduction, Marthe Bibesco, riche de tous ces dons, se jugeait presque trop comblée : “Je suis humiliante sans le savoir...”, soupirait-elle. À travers un mariage houleux, et des liaisons illusoires, elle a cherché longtemps son égal, et n’a rencontré que des miroirs ou des masques. De tous les hommes qu’elle a cru aimer, seul l’abbé Mugnier, son confident, ne l’a pas déçue. Hantée par le souci de survivre, et de sauver de l’oubli ceux qui lui en paraissaient dignes, elle a vécu, dès son adolescence, pour écrire ses Mémoires, retrouver le temps perdu. “Je voudrais inventer une machine à imprimer la vie”, aimait-elle à dire et, pendant plus de soixante ans, elle s’efforça d’immortaliser l’éphémère. Élevée sur les marches de plusieurs trônes, elle devint - à son tour - une de ces reines intemporelles, qui fascinaient Proust et enchantaient Claudel. Partagée entre Bucarest et Paris, Londres et Berlin, sa vie fut celle d’un personnage de Paul Morand, éternelle passagère de l’Orient-Express, des grands transatlantiques, et même d’un avion personnel, qui lui permit de promener sur la Terre le regard émerveillé d’un Christophe Colomb. Toujours avide d’horizons nouveaux, elle l’était aussi de grands hommes, les recherchant moins par goût du pouvoir, que par désir de savoir avant les autres, d’être à la fois le cœur et le cerveau de cette Europe dont elle se croyait l’égérie. Dans son œuvre romanesque, comme dans son Journal inédit, une des principales sources de cette biographie, elle a su évoquer bien des figures tragiques ou pittoresques, de la famille royale de Roumanie et de Grande-Bretagne aux derniers Romanov, de Proust à Churchill, de Gorki à Mussolini, d’Anatole France à la comtesse de Noailles, en passant par Henry de Jouvenel, Goering et Ramsay MacDonald. Parmi ses contemporains, peu échappent à l’acuité de son regard, à la finesse de son jugement, et à sa verve parfois mordante. Cette biographie, qui utilise nombre d’archives ou de correspondances encore inconnues, ressuscite un personnage, et révèle maints aspects d’une époque.