Dandy ironique et amer, artiste ardent et généreux ; ami tendre, amant assez indifférent ; épouvantail des bourgeois mais peintre officiel, chef des romantiques mais se voulant plus classique que son ennemi Ingres, cent contradictions se réunissent en Delacroix. Beaucoup viennent de son hérédité, les autres d’une secrète passion que trahit sur la toile un cri, une blessure, passion qui terrassait ou exaltait tour à tour cet homme si complexe. Philippe Jullian, après avoir étudié la formation du peintre, a retrouvé les sources de ce « lac de sang » qui teinte les scènes de rapt et de carnage dans lesquelles s’est complu Delacroix, jusqu’à ce que la volonté d’être un classique sublime cette passion en la seule violence des couleurs et du dessin. Ce sadisme, curieusement allié au patriotisme, fut le grand ressort de cette œuvre plus aimée des écrivains que des peintres. Cependant Renoir lui emprunta sa palette, Gustave Moreau ses héros et Odilon Redon ses idées ; il est avec Turner le seul peintre romantique. L’auteur qui connaît bien les deux pays qui ont influencé Delacroix, l’Angleterre et le Maroc, a discerné dans l’un, les sources d’inspiration, dans l’autre une vision qui permet à Delacroix de rendre l’Antiquité vivante. Philippe Jullian, chroniqueur de la vie parisienne, nous mène sur les pas de Delacroix dans les ateliers et les salons du Paris romantique. On rencontre Stendhal et Balzac, George Sand et ce cher « petit Chopinski », quelques femmes charmantes : princesses polonaises voluptueuses, mélomanes et parisiennes qui surent contenir la passion de ce fauve délicieux. C’est souvent Delacroix, lui-même, qui prend la parole par son Journal et par ses lettres, déchiré entre le besoin de gloire et la solitude, l’ennui et le plaisir, dernier homme de la Renaissance égaré dans la Comédie humaine.